• Chapitre 7

    Recueillir une petite fille, ce n'est pas de tout repos. Mais... est-ce vraiment une petite fille ordinaire ?

    La flèche d'un ange

    Co… Comment est-ce possible ? Je touche une nouvelle fois ma joue pour m'assurer que je ne rêve pas. Un frisson me parcoure des pieds à la tête. Mon sang visqueux imprègne mon doigt, je le sens. D'un coup, les scénarios à suivre envahissent ma tête. J'essaie tant bien que mal de les endiguer, en vain. Fermer la fenêtre et faire comme si de rien n'était, sortir dehors chercher l'archer, courir réveiller Midona. Rester. Partir. Ignorer. Foncer. Je manque de défaillir. Trop d'informations, trop de possibilités. Mon esprits se noie.

    Laisse-moi faire alors ! Tout sera beaucoup plus facile, tu verras. Plus aucun obstacle ne croisera ta route.

    Tu racontes n'importe quoi ! Tu n'as aucun sentiment… aucune conscience. Tu vas juste… Je ne suis pas une machine à tuer !

    Tu me fais tellement rire. Je suis toi, Solfiana. Ce que je fais, ce que je pense même est tien comme chaque nom de mes… pardon, de tes victimes.

    La nausée me prend. Il… Il faut que j'aille voir dehors moi-même. Si je ne le fais pas, il n'y a aucun doute qu'elle le retrouvera et… Cette idée m'est insupportable. Sans attendre, j'ouvre la porte-fenêtre avant de sortir. Rapidement, le froid s'empare de mon corps. La bise glacial ne m'épargne pas. Ce n'est pas normal. Je croise les bras, tentant en vain de me réchauffer un peu. Même en pleine nuit, Faran n'est jamais aussi frisquet. Chassant rapidement ces pensées, je m'avance dans la plaine qui s'étale devant moi. Un nouveau frisson me parcoure tandis qu'une rafale de vent me frappe de plein fouet. Malgré ça, malgré ces bourrasques incessantes qui me mordent la peau, je continue d'avancer.

    L'hésitation me prend. Ne serait-ce pas plus rapide de lancer un sort ? Je secoue la tête. Rien qu'à l'idée de réutiliser cette… magie, le dégoût m'envahit. Mais pour sauver des vies… J'inspire. Il est clair que si elle le retrouve et qu'il y a des témoins, ce sera un véritable carnage. Pendant un instant, mes yeux se ferment. Après quinze ans sans magie, quinze ans sans problème, ai-je encore le courage de prendre ce risque ? Ma main se pose sur mon ventre. Si je l'utilise, il y a énormément de risque pour que mon enfant en soit imprégné, pour qu'il vive le même enfer que moi. Pourtant, je l'ai bien utilisée pour détruire le carnet… Les remords s'insinuent dans mes pensées. L'angoisse me pétrifie. Sur le moment, je n'y ai pas prêté attention, mais maintenant… Je l'ai peut-être condamné ! Les larmes me montent aux yeux, la panique me gagne. Sur un petit coup de tête, la vie de mon bébé a probablement déjà basculée sur un chemin sombre plein de souffrances.

    Je me fige ; mes pensées se taisent. Une voix résonne dans la nuit.

    – … pas pu aller bien loin. Je suis sûre qu'elle a atterrie ici.

    Ce n'est qu'un murmure, un simple chuchotement à peine audible. Pourtant, je l'entends qui tranche le silence nocturne. Sans hésiter une seconde, je me dirige vers la source du son. Puis, sortant de la pénombre, une colline se dresse devant moi. Un soupir m'échappe, mais je commence tout de même l'ascension. Un peu d'exercice ne peut pas faire de mal, n'est-ce pas ? Je marche donc d'un bon pas vers le sommet. Enfin, jusqu'à la moitié. Quelle idiote je suis ! M'amuser à monter une pente, alors que ma grossesse est presque arrivée à son terme, est bien la dernière chose à faire. Mon souffle est court et je suis à moitié pliée de fatigue.

    – Ah ! Je crois qu'elle est allée se ficher dans…

    Un cri étranglé me parvient jusqu'aux oreilles. Je relève les yeux pour croiser le regard terrifié de l'archer… ou plutôt archère. À vrai dire, ce n'est qu'une petite fille qui tient un arc trop grand pour elle. Je ne lui donnerai pas plus de quatre ou cinq ans. Si ce n'est que son jeune âge m'étonne, la peur qu'exprime son visage blafard m'inquiète beaucoup plus. D'un rapide coup d’œil, je vérifie derrière moi. Rien à signaler. Alors, pourquoi une telle terreur ? La fillette tremble comme une feuille, à tel point que ses jambes lâchent prise. Le plus étrange c'est qu'elle ne semble même pas affectée par sa chute ; elle ne cesse de me regarder avec ses grands yeux effrayés. Inquiète, je gravis les derniers mètres qui me séparent d'elle, mais la petite fille recule aussitôt. Alors, je n'esquisse plus un geste. Je reste simplement devant elle, immobile. Inutile de lui faire plus peur que de raison.

    – S'il v… s'il vous plaît, ne… ne m'é… ne m'égorgez pas !

    La surprise me fait reculer. Aurais-je sous-estimé la force des rumeurs dans les villages aux alentours ? Cette petite a bien peur, mais pas à cause de quelque chose que je ne vois pas. Non, elle a peur de moi. Mes sourcils se froncent. Interprétant sans doute mal ma réaction, la petite fille pâlit d'avantage. Ses yeux me scrutent rapidement et, voyant la coupure sur ma joue, pousse un petit cri d'effroi. Ses tremblements redoublent. Elle ferme les yeux et commence à pleurer doucement.

    – Oh non, non, non ! Je ne vais pas t'égorger voyons. Pourquoi je ferai ça d'abord ?

    La fillette relève timidement la tête. Ses yeux humides me fixent, cherchant une quelconque trace de sournoiserie sur mon visage.

    – Je n'essaie pas de te tromper ; je suis sincère.

    – Alors… Alors vous n'allez pas m'engraisser pour me manger ?

    Je secoue négativement la tête. Les traits de son visage semblent se détendre, mais restent tout de même un peu crispés. En fait, tout chez elle est comme ça. Son corps émacié me semble bien fragile sous la bise glaciale et les cernes sous ses yeux bien trop marquées pour son jeune âge. Elle me semble un peu éprouvée par les épreuves de sa vie. La fillette se tortille, gênée. Je me rends compte que l'observer ainsi devait être plus qu'embarrassant. On continue de s'observer pendant quelques secondes encore. Puis, sans un mot, elle se relève un peu vacillante. La petite fille me lance un dernier regard craintif avant de finalement se retourner et d'entamer la descente. Je ne fais rien pour l'en empêcher. Après tout, je ne suis qu'une inconnue pour elle. Ses problèmes ne me regardent pas. De plus… Un goût amer envahit ma bouche. De plus, mes expériences passées m'ont appris à ne pas me mêler des affaires des autres. Alors, je la regarde s'éloigner d'un pas incertain. Sa silhouette si frêle qui s'éloigne dans la nuit froide… Un pincement au cœur me fait souffrir. J'hésite à l'inviter chez moi pour se reposer, mais… mais sa famille s’inquiéterait inutilement. La fillette s'éloigne encore. Je ne sais pas ce qui me retiens encore ici. Peut-être l'instinct ?

    Sans prévenir, la fillette s'effondre. Mon cœur fais un bond. Je me précipite vers elle et prends son pouls. Je pousse un soupir de soulagement. Elle s'est juste évanouie. De fatigue ou de faim, je ne saurais le dire.

    C'est le moment parfait pour l'achever !

    Non… Tu n'oserais tout de même pas faire ça à une enfant !

    Une enfant qui a attenté à ma vie.

    Accidentellement seulement ! Je… de toute façon, je t'en empêcherai.

    Laisse-moi rire.

    Sans que je le veuille, mes mains glissent jusqu'au cou de l'inconsciente.

    Ah ! Tu vois, je suis plus forte que toi. Alors, arrête donc un peu de résister qu'on puisse finir cette basse besogne

    Non ! Je ne veux pas ! Mon esprit refuse de se rendre coupable d'une telle chose. Je lutte de toutes mes forces, mais mes doigts s'approchent inexorablement de sa gorge. Alors, j'essaie de me lever, de fuir. Seulement, mes jambes refusent aussi de m'écouter. Je ne peux que me résigner. Une larme coule sur ma joue. Que Lom ait pitié de moi !

     

    Ƹ§Ʒ

     

    Je me réveille en sursaut. Le jour se lève. De là où je suis, je peux voir les trois soleils s'élever dans le ciel encore un peu doré. Trois petites boules respectivement rouge, orange et verte qui réchauffent un peu la pièce. Un frisson me parcoure encore. Mes mains tremblent rien qu'à l'idée de ce qui aurait pu se passer il y a quelques jours. Dire que j'ai faillit succomber, tuer une innocente. Ma main se pose sur mon ventre. Un goût amer envahit ma bouche. J'ai fait mon choix ; il est trop tard pour regretter. Mon regard finit par tomber sur le corps dans mon lit. La fillette dort profondément depuis plusieurs heures. Sa vie est sauve tandis que celle de mon enfant est condamnée à n'être que malheurs. Posséder une double-magie n'est pas vraiment un avantage…

    Mon regard s'attarde un peu plus sur la fillette. Elle a l'air si paisible quand elle dort. Ses cheveux châtain à la frange droite approximative sont coupés court tandis que les manches longues de sa chemise blanche tranche sur le rose de sa robe. Deux bottes beige légèrement trop grandes pour elle sont posées sur le côté du lit. Ce qui m'étonne le plus chez elle est bien la qualité de ses vêtements. Par exemple, sa cape de soie noire, qui cache entièrement son dos, est de trop bonne facture pour que cet enfant soit une simple fille des champs ou, du moins, du coin.

    Un bâillement m'échappe. J'ai presque fait une nuit blanche dans ce fauteuil. C'est clair qu'avec ce rêve… Cette histoire m'était presque sortie de la tête. « Il vient juste de tomber dans mon piège. » Cette phrase me fait frissonner. Seulement, un lien étroit m'unit avec Antony ; s'il était en danger, je l'aurais su immédiatement. Seulement, aucun pressentiment n'est venu déclencher la sonnette d'alarme. Ça aurait dû me rassurer, mais c'est tout le contraire qui se passe. Quelque chose me dit que ce n'était pas un piège avec une embuscade ou autre fourberie guerrière de la sorte. Non, c'est bien plus terrible. Une tactique, une stratégie qui a trompé sa vigilance et qui le menace à chaque seconde.

    Il y a du mouvement du côté du lit. La petite fille se relève, un bâillement s'échappant d'entre ses lèvres fines. Ses yeux ensommeillés parcourent la pièce. Je me lève alors pour me placer à côté d'elle.

    – Bien dormi Rithmy ?

    – Oh oui !

    Un sourire éclaire son visage pâle. Voilà déjà quatre jours que je l'héberge chez moi ; elle commence à reprendre un peu de couleurs et ça me rassure. Je pourrais presque dire qu'elle rayonne de bonheur. Presque. Il reste encore quelques réticences, mais elles ne tarderont pas à disparaître.

    – Parfait alors ! Tu vas manger un bout et on va continuer l'entraînement.

    Je prends le plateau sur la table de chevet. Dessus, une brioche, de la confiture et un verre de lait attendent patiemment d'être dégustés. Ma main le dépose à côté d'elle. Ses doigts d'enfant hésitent un peu au-dessus de la nourriture, mais la faim l'emporte. En une poignée de secondes, le contenu du plateau n'est plus qu'un souvenir. Rythmi met le bout de ses doigts dans sa bouche pour enlever les restes de confiture avant de sauter en dehors du lit. Sans m'attendre, elle sort par la porte-fenêtre et court dans l'herbe fraîche. Je ris en la voyant si joyeuse et la suis un peu plus lentement.

    Il y a quelques jours, j'ai sorti les vieilles affaires de tir d'Antony. Depuis, Rythmi ne cesse de s'entraîner dessus. Elle est même plutôt douée. Plusieurs fois, ses flèches ont touché le centre. Pourtant, elle continue à s'améliorer, s'éloignant toujours plus de la cible. Pour le moment, elle n'est qu'à treize mètres, mais c'est amplement suffisant pour apporter des modifications à son arc.

    Je m’assois sur ma chaise à bascule. Comme à mon habitude, je la regarde faire, corrigeant parfois sa position.

    – Vous savez, dame Solfiana, quand je vous ai vue sur cette colline il y a quelques nuits, j'ai amèrement regretté d'avoir tiré cette flèche.

    Rythmi décoche une nouvelle salve, touchant la cible presque au centre. Des reflets d'or ornent sa chevelure châtain. Son regard se fait moins sûr. Une note d'incertitude souille sa joyeuse assurance.

    – Puis, maintenant, je trouve que j'ai eut beaucoup de chance, puisque c'est vous que je cherchais depuis des mois.

    La petite fille encoche une nouvelle flèche et inspire profondément, prête à tirer une nouvelle fois. Néanmoins, son visage serein n'est qu'une façade : son arc tremble et ses lèvres sont pincées. L'inquiétude commence à s'installer en moi. Puis, elle est rapidement chassée par une question qui me trotte dans la tête depuis un moment.

    – À ce propos, tu ne m'as toujours pas dit pourquoi tu me cherchais.

    Le projectile part. Il rate d'un bon mètre la cible. Aucune de nous ne prononce un mot. Ma jeune protégée observe le vide comme si elle était à la recherche de sa flèche égarée. Apparemment, c'est un sujet sensible. Son visage un peu crispé et son nez retroussé tandis que ses mains sont agitées par de légers tremblements. Avec une lenteur délibérée, elle pose son arc au sol avant de commencer à se tordre les mains. Pendant plusieurs longues secondes, elle ne fait rien de plus. Elle cherche ses mots. Je ne dis rien. Il ne sert à rien de la brusquer, surtout si elle a une mauvaise nouvelle à m'annoncer. De plus, je me sens un peu mal à l'aise de l'avoir mise dans un état pareil. Rythmi se tourne finalement vers moi, un peu gênée. Ses yeux évitent soigneusement les miens, préférant regarder le joli bosquet juste à côté de moi.

    – C'est vrai que j'aurais dû vous dire plutôt la raison de ma venue, mais… mais j'avais un peu peur de votre réaction.

    Finalement, son regard revient vers moi. Il s'ancre dans le mien, cherchant sans doute une raison valable pour retarder ce moment. Elle soupire. Sa recherche est infructueuse.

    L'appréhension me gagne. Qu'a-t-elle de si terrible à me dévoiler ? Une part de moi se tend, attendant l'annonce fatidique. Mais, l'autre partie, que je déteste depuis déjà plusieurs années, me pousse à être curieuse. Une nouvelle fois, je la détaille de la tête au pied. Rien ne dénote dans son apparence ; elle a l'air parfaitement normale. Alors, c'est peut-être d'ordre psychologique ?

    – Vas-y, ne t'inquiète pas pour ma réaction : je me contiendrai s'il le faut.

    Rythmi me lance un sourire, à demi-rassurée par ma phrase d'encouragement. Lentement, elle se retourne. Puis, ses mains remontent vers son cou pour décrocher sa cape, la laissant retomber au sol. Mon cœur rate un battement, mon corps se fige. Là, dans son dos, deux ailes en pleine croissance sont nichées. Elles ne mesurent pas plus d'une trentaine de centimètres et sont facilement dissimulée par son épaisse cape. Ce n'est pas cette découverte surprenante qui me glace d'effroi, qui me coupe presque l'envie de respirer. Mes yeux sont obnubilés par cette couleur blanche immaculée, la couleur de ses plumes. Blanches… comme celles de l'Ennemie.

    Chapitre 6Chapitre 8


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