• Chapitre 8

    Apparemment, je ne suis pas la seule à mentir dans ce château. Je... mais à qui puis-je faire confiance ?!

    Journal n° 4

    Un frisson parcoure mon corps. Une sensation… presque agréable. Je ne saurais dire pourquoi. C'est… c'est juste ce sentiment de devenir plus légère, plus en sécurité comme je ne l'ai jamais été. Une soudaine envie me prend : je ne veux plus quitté cet endroit. Les discussions s'atténuent, les images se brouillent. Le monde devient une bulle blanche. Aucun son ne plane, aucun geste brusque ne brise cet instant… magique. Je suis seule avec lui. Il ne fait rien, il ne dit rien. Pourtant, ses yeux bleu électrique valent bien plus que des mots. Ils me scrutent avec tant d'insistance…

    – Hello ! Il y a quelqu'un ?

    Je suis arrachée brutalement à ma transe. Un dur retour à la réalité. La douce sensation de ce lieu inconnu n'est déjà plus qu'un vague souvenir. J'avale difficilement ma salive. Que j'aurais aimé rester un peu plus longtemps dans ce monde de douceur. Un léger toussotement attire mon attention. Je me tourne vers Europe et Aldena. Tous deux me regardent avec cet air… je dirais surpris.

    – Pourquoi vous me fixez comme ça ?

    Ils se consultent du regard. Pas besoin de télépathie pour comprendre que ce simple coup d’œil signifie qu'ils pensent la même chose. Mais bon, c'est un début pour leur relation ! Je m'en serais réjoui si seulement une pointe de jalousie ne venait pas tacher le tout. Dire que même avec moi Aldena n'a jamais eu autant de complicité. Je suis pourtant restée à ses côtés tout le temps. Ça me donnerait presque envie de… Bref, je ne devrais pas avoir ce genre de pensées. Mes amis recommencent à me fixer bizarrement. Je me tortille un peu, mal à l'aise. Mais qu'est-ce qu'ils ont à la fin ? Ça devient franchement gênant.

    – C'est à dire que… En fait vous… Il…, tente Aldena.

    Ma pauvre amie s'emmêle les pinceaux. Des bouts de phrases s’enchâssent sans que la moindre cohérence ne se glissent entre eux. Soudain, Europe explose :

    – Ne me dit quand même pas que ce cher Duc te fait de l'effet !?

    Je le regarde un peu surprise. C'est bien la première fois que je l'entends parler comme ça. Il y a tant de… rage dans sa voix. D'habitude il est plutôt enjoué et presque insouciant, mais là… Je le vois sous un tout nouveau jour. Son sourire envolé, il semble bien en colère. Ses lèvres sont pincées et ses poings serrés. Je ne peux empêcher mon cœur d'accélérer.

    – Mais… mais de quoi tu parles Europe ?

    Le concerné lève les yeux au ciel avant de finalement cracher :

    – De comment tu le regardes enfin ! On n'est pas aveugle Solfi.

    Je fronce les sourcils.

    – Et je le regarde comment au juste ?

    – Tu… Rah ! Laisse tomber.

    Europe s'effondre sur une chaise juste à côté de moi. Il passe nerveusement une main dans ses cheveux. Un air préoccupé s'affiche sur son visage. Sans vraiment savoir pourquoi, je prends sa main dans la mienne. Il relève la tête et me regarde… Une étrange lueur d'inquiétude noyant ses yeux vert d'eau… Je me crispe. Cette… cette expression me rappelle vaguement quelque chose… et ce n'était pas sur le visage d'Europe… Un soupir coupe court mes réflexions. Je le sens, mon ami est tendu. Ce genre de réaction n'arrive que quand on fait face à un dilemme important. Je suis bien placée pour le savoir… Ma main resserre doucement son étreinte.

    – Si tu as quelque chose à me dire, Europe, tu peux me le dire.

    – Oh Solfiana, ce n'est pas si simple.

    Il se cache le visage avec ses mains.

    – Si seulement tu savais…

    – Si je savais quoi ?

    Sa tête se relève. Europe me regarde droit dans les yeux. Une lueur d'incertitude y brille, mais elle est rapidement balayée. Apparemment, il a pris sa décision.

    – Si tu savais qu'il…

    – Pardonnez-moi de vous déranger, votre Altesse.

    Je me tourne vers le nouveau venu. Mon cœur rate un battement, mes pensées se figent. Devant moi se tient le mystérieux Duc. Un demi-sourire sur son visage, il m'observe. Ses yeux scrutent ma personne sans gêne. Le rouge me monte aux joues. Un silence flotte entre nous. Personne ne dit rien ; toute l'attention est fixée sur lui. Il a… une sorte d'aura, quelque chose qui impose sa présence parmi nous. Mais, ce n'est pas cela qui me frappe en premier. Ses courts cheveux d'ébène légèrement décoiffés… L'intensité de ses yeux bleu électrique… Sa peau pâle et son visage efféminé… Et cette petite étincelle qui rend le tout attirant… Il est vrai qu'il a du charme. Néanmoins, je ne peux… je ne dois pas le laisser me déconcentrer.

    – À qui ai-je l'honneur ?

    Il éclate de rire. Mon cœur s'emballe. Je l'entends qui tambourine dans ma poitrine.

    – Mais où ai-je la tête ?

    D'une élégante révérence, il s'abaisse, ses cheveux effleurant le sol, puis il se relève. Je me crispe. Un sourire moqueur est affiché sur son visage comme une sorte de provocation à mon égard.

    – Antony Artum, Duc de Norlangarth, pour vous servir, votre Altesse.

    Je suis… déstabilisée. Du moins, au début. Je lui rends son sourire. Il est hors de question que je me laisse insulter ainsi. Néanmoins, je me pose tout de même une question : où se trouve Norlangarth ? Quel étrange nom. J'ai beau cherché dans ma mémoire, mais aucune région, ville ou village ne correspond un tant soit peu à cette dénomination. Norlangarth… un mot qui m'est presque familier, mais… Non, ça ne me revient pas.

    – Puis-je m'asseoir ?

    – Bien sûr.

    Sans se départir de son sourire, Antony s'assoit à côté de moi. Je me crispe, mais ne dis rien. Dire que l'auteur de la lettre serait lui. Je frissonne malgré moi. S'il connaît vraiment mon secret, il faut mettre les choses au clair le plus rapidement possible. Malgré mon cœur qui bat à la chamade, je me décide à ouvrir la bouche.

    – Puis-je vous poser une question ?

    – Mais bien sûr, votre Altesse.

    – Est-ce que…

    Je me ravise. Faire dans la dentelle ne me correspond pas vraiment. Foncer dans le tas, un peu plus. Que… que dire à une personne qui en a après vous par intérêt ?

    – Possédez-vous de la magie ?

    – Non. Certes, je possède quelques connaissances dans ce domaine, mais rien de plus.

    À nouveau, le silence s'installe entre nous. J'ai bien encore une question, mais… mais le faire ce serait montrer un signe d'infériorité. Dans le cas présent ce serait vraiment une très mauvaise idée.

    – Je sens que vous voulez me dire quelque chose d'autre. Allez-y, ne vous inquiétez pas pour les règles de bienséance.

    Je me mords la lèvre, mais je me lance quand même.

    – Je me demandais juste où pouvait bien se trouver Norlangarth…

    Une grimace fugace, c'est tout ce que j'ai comme réaction. Son sourire s'est effacé, sa mâchoire s'est crispée. Ce ne sont là que quelques exemples bien trop imperceptibles pour être visibles par n'importe qui. Antony soupire.

    – Norlangarth est un endroit… un endroit bien trop lointain pour être visité.

    – Alors, si je puis me permettre, comment êtes-vous venus jusqu'ici ?

    Un rire lui échappe.

    – C'est une très longue histoire, votre Altesse. Et puis, je doute qu'elle vous intéresse.

    – Bien sûr qu'elle m'intéresse, puisque je pose la question.

    Il me regarde droit dans les yeux. Je ne dirais pas une lueur de joie, mais plutôt d'amusement y brille. C'est plutôt étrange. J'aurais plutôt dit que c'était une expression mélancolique qui s'affiche habituellement sur son visage… Je chasse à coup de balai ces pensées.

    – Je ne vous imaginais pas comme cela, votre Altesse…

    Antony se rapproche de moi et me murmure à l'oreille :

    – Si seulement il n'y avait que ça…

    Mon cœur rate un battement. J'ai l'impression que l'air me manque. Je viens d'avoir la confirmation tant attendue.

    – Bien, je pense qu'il est temps pour de moi de cesser de vous importuner, votre Altesse.

    Il se lève, son sourire moqueur aux lèvres. Je fais de même, mais sans lui renvoyer son affront.

    – J'espère vous revoir bientôt, cher Duc.

    Un simple hochement de tête me répond avant qu'il ne disparaisse dans la foule, englouti parmi les habitants du Château. Une main se pose sur mon épaule.

    – Solfi ? Tu m'écoutes ?

    – Bien sûr, Europe. Bien sûr…

    Je ne prends même pas la peine de le regarder. Sa main me suffit pour sentir à quel point il déteste Antony. Elle est tendue, crispée même.

    – Peu importe les apparences, peu importe ce qu'il peut te dire, ne lui fais pas confiance.

    – Si tu le dis…

    Je me tourne légèrement vers lui. Une nouvelle fois, une expression haineuse s'affiche sur son visage. Europe, que me caches-tu ?

    Tu devrais faire plus attention à qui tu accordes ta confiance…

    Mes yeux scrutent une nouvelle fois la foule, mais aucune prunelle bleu électrique ne vient à ma rencontre. Pourtant, j'étais sûre que c'était la voix de ce très cher Duc de Norlangarth. Mon regard se pose sur le sol. Pendant une fraction de seconde, je vois une ombre étirée jusqu'à la mienne. Puis, plus rien ; tout est redevenu comme avant. Apparemment, je ne suis pas la seule à vivre dans le mensonge…

    Ƹ§Ʒ

    Des sanglots brisent le silence, des larmes coulent. La Forêt Sombre est loin d'être le meilleur endroit pour les âmes en peine. Des fantômes rôdent, des bêtes chassent. Pourtant, aucun d'entre eux ne s'approche de la petite fille. Elle est roulée en boule au centre d'une clairière. Les arbres l'entourent et l'écoutent pleurer toutes les larmes e son corps. Ils tendent leurs branchages au-dessus d'elle comme pour lui montrer leur soutien.

    Un grognement monte des buissons. La petite fille essuient ses larmes et scrutent l'obscurité. Un loup en sort. Son pelage est aussi sombre que la Nuit, ses yeux d'un étincelant bleu électrique. Il s'approche prudemment d'elle, renifle l'air incertain de vouloir aller plus loin. Sans crainte, la petite fille passe ses doigts dans sa fourrure. Elle est douce et chaude. Le loup, méfiant au début, finit par se blottir contre elle.

    Un froissement d'aile. Un oiseau se pose sur son épaule. La fillette ne le craint pas et le hibou non plus. Il frotte même sa tête contre sa joue. La petite fille rit. Ça lui fait plaisir de voir ses amis. À son tour, elle lui montre son affection en caressant les plumes à la base de son cou. Qu'il est beau cet hiboux avec ses iris pervenche et son plumage gris minéral.

    Un sifflement fend l'air. Le loup s'écarte immédiatement de la petite fille, grognant sur la créature sortie des buissons. Une vipère blanche aux yeux lavande. Elle siffle en retour, se relevant prête à attaquer. La petite fille s'interpose. Les deux rivaux se calment. Elle leur sourit avant de tendre son bras à son compagnon écailleux. Ce dernier n'attendait que ça et commence à grimper. De la même manière du hibou, la vipère frotte sa tête contre son amie. Puis, sans prévenir, elle saute sur le loup, la gueule grande ouverte. Ses crocs dégoulinent de venin. Son rival l'évite et se met en position d'attaque.

    – Non !

    La petite fille attrape la queue de la vipère pour essayer d'éviter l'affrontement. Seulement, l'animal ne compte pas se laisser faire. La fillette resserre sa prise, tentant de retenir le plus longtemps possible le corps écailleux. La vipère se tord encore plus vigoureusement. Ses crocs finissent par rencontrer la chair tendre de sa main. Deux entailles saignent au niveau de son poignet. Le venin se diffuse immédiatement dans son sang. Sa vue se trouble, son corps vacille. La petite fille s'effondre. Sa respiration est laborieuse, sa vue se résume à des taches de couleur. Les trois animaux l'entourent, la tête basse, pour un dernier au revoir.

    Je me réveille en sursaut. La sueur perle sur mon front, mon souffle est court. J'ai… j'ai l'impression qu'un liquide brûlant se déverse dans mes veines. Je vérifie mon poignet. Deux tâches roses en forme de crocs y sont dessinées.

    – Ce n'est qu'un cauchemar… Un simple cauchemar…

    – Je n'en dirai pas autant.

    Chapitre 7


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