• Chapitre 9

    Journal n° 5

    Mon cœur rate un battement. Il y a quelqu'un dans ma chambre ! Et je suis sûre d'une chose, ce n'est pas Aldena. Un petit rire perce le silence. Je me tourne vers la source du bruit. Oh non, pas lui !

    – Tu m'as l'air bien surprise de me voir ici.

    Antony inspire une nouvelle bouffée d'air avant de ramener sa pipe vers sa bouche. Ce ne sont clairement pas d'innocentes herbes qu'il est en train de fumer. Le nuage rouge qui sort de sa bouche ne me dit rien qui vaille. Il se tient là, droit et la tête haute. Une nouvelle fois encore, ce cher Duc me nargue avec son sourire insolent. Je resserre mon poing. Non, mais pour qui il se prend !? Entrer dans ma chambre sans permission, me provoquer aussi ouvertement, c'est… c'est juste… ! Raah ! Je trouve même pas un mot pour ça. Antony Artum n'est clairement pas un Duc. Si ça avait été le cas, il se soucierait un peu plus de comment le trouve la famille royale pour avoir plus de privilèges.

    – Pourquoi je ne serais pas surprise de retrouver un Duc dans ma chambre ?

    – Ainsi tu remets en cause mon titre ?

    Il ramène une nouvelle fois sa pipe à sa bouche. Je tique pendant un moment sur le « tu » qu'il utilise, mais je me reprends vite. Perdre une joute verbale est aussi humiliante que de perdre un combat à l'épée. Il essaie juste de me déstabiliser. Rejetant ma couverture sur le côté, je sors de mon lit et marche dans sa direction. Si je n'étais pas une princesse, j'aurais pris une épée et jeté en dehors du Château ! Avec une jolie flaque de boue le tout serait parfait. Il n'a vraiment aucun charme finalement ! Je l'observe un peu plus attentivement. Il est bien trop maigre pour venir d'une bonne famille. Sa force en subit alors les conséquences. Raah, ce serait si facile de mettre mes mains autour de son cou et de serrer, serrer jusqu'à qu'il… Je ferme les yeux et chasse cette pensée. Calme-toi ma grande, ce genre d'idée ne te ressemble pas. Je rouvre mes yeux et fais face à Antony. Pourtant… pourtant je voudrais tant les refermer… mes paupières me semblent lourdes. Je secoue la tête. Mon esprit doit encore être un peu engourdi après ce réveil forcé.

    – Et pourquoi pas ? Pour un Duc, je vous trouve sacrément arrogant et malpoli.

    – Que veux-tu ? On ne peut pas être tous de parfaites marionnettes.

    Je plisse les yeux.

    – De plus en plus arrogant…

    Le Duc de Norlangarth me souffle volontairement dessus de la fumée rouge, un petit sourire en coin. Je tousse en sentant l'horrible odeur doucereuse qui s'en dégage. Pouah ! Comment il peut fumer ça ?! C'est si… doux… Je secoue la tête une nouvelle fois. Voilà que je divague maintenant ! Je me reconcentre sur Antony. D'ailleurs… il est pas un peu plus proche qu'avant ? Mon cœur accélère. Je sens le rouge me monter aux joues. Son souffle me caresse le visage. Il se rapproche encore. Toujours plus près.

    – Et cela te déplaît-il ? me murmure-t-il à l'oreille.

    Je me mords la lèvre. Non, bien au contraire. J'ai envie de lui répondre, de lui envoyer en pleine face une tirade, mais… mais j'ai la gorge sèche et… et je me sens si fatiguée. Mes jambes mollissent à vue d’œil. Je manque de défaillir en sentant la légère odeur de cendre et de menthe qui se dégage de lui. Sa main effleure ma joue. J'ai tant envie que ce moment dure éternellement…

    Vraiment ? N'ai-je pas pensé au début qu'il avait tué sa famille ? Si ça se trouve, c'est un assassin exprès venu pour moi.

    Je le repousse violemment.

    – Ne me touchez pas ! Qu'est-ce qui me dit que vous n'êtes pas de mèches avec ces… avec ces tueurs de l'autre jour !? Hein ?

    Je me fige à ces mots. Antony est sidéré lui aussi par ce que je viens de dire. Est-ce qu'énoncer une possible vérité peut faire aussi mal ? Mais… maintenant qu'elle me saute aux yeux… Je ne sais rien de lui ou de ses motivations. Et si… et si son apparence n'était qu'un vernis pour cacher ce… ce qu'il y a dessous ? Soudain effrayée, je commence à reculer de quelques pas. Seulement, Antony me retient par le poignet. Je n'ose pas me dégager : qui sait ce qu'il pourrait me faire. Alors, je ne fais plus le moindre mouvement. Je m'autorise à peine quelques respirations. Il ne fait rien contre moi à part me tenir le poignet. Son visage n'affiche même plus son air arrogant. Il me paraît presque… soucieux.

    – Qu'est-ce que je peux faire pour gagner ta confiance ? lâche-t-il dans un murmure.

    J'écarquille les yeux. Il… il se soucie vraiment de ça ?

    Les humains sont des traîtres et je le sais mieux que quiconque. N'en ai-je déjà pas fait les frais ?

    – Je…

    J'avale difficilement ma salive. Je… je ne sais quoi répondre. Maintenant que le doute s'est insinué, je perçois chez lui … une chose. Elle me veut du mal, elle veut à tout prix me blesser. Je ne saurais mieux la décrire. C'est… c'est comme un pressentiment, un danger qui vient de se dévoiler à moi. Pourtant… malgré cette chose si menaçante, mon cœur ne reste pas de glace face à son regard. Il y a… tant de détresse, tant de… peur dedans au point que je me reconnaisse en lui. À l'extérieur, il se montre sûr de lui, voire même arrogant, mais au fond il est aussi effrayé que moi de perdre tout ce qui lui est cher. Tout ce qui lui est cher…

    Ne te fais pas trop de faux espoirs. La chose en lui ne m'apprécie pas et me le fera savoir assez… méchamment. Si je lui accorde ma confiance maintenant, je finirai par le regretter et même le payer de ma propre vie.

    C'est vrai. Je ne devrais pas oublier ça. Alors, il faut que je… Je grimace : je commence à ressentir des picotements dans ma main droite. J'y jette un rapide coup d’œil. Mon corps se fige d'effroi. Ce que… ce que je vois n'est pas possible. Je cligne plusieurs fois des yeux avant de regarder une nouvelle fois. Seulement, il n'y a déjà plus rien. Est-ce que j'ai… Non, impossible. J'ai dû imaginer ces particules de magie noire entre mes doigts. J'ai beaucoup d'hallucinations ces derniers temps.

    – Je ne sais pas vraiment.

    – Oh, t… très bien alors. Je… Je comprends.

    Antony me lâche enfin, une lueur déçu dans le regard. Mon cœur se serre. Il y tenait vraiment alors… Je voudrais vraiment lui répondre, mais je n'ai absolument aucune idée de ce qu'il pourrait faire. La gêne s'installe doucement entre nous. Je n'ose même pas le regarder dans les yeux. Je ne sais même pas pourquoi je culpabilise en fait. Ne l'ai-je pas rejeté juste avant parce qu'il peut être un assassin ? Mais juste après je me suis reconnu en lui, est-ce que ça signifie quelque chose ? Raah ! Je me prends vraiment trop la tête ! Un soupir me parvient ; je relève la tête. Mon cœur accélère, l'air me manque. Les yeux d'Antony sont rouges… vides de toute conscience. Je recule de quelques pas, la peur s'emparant de mon esprit. Il faut que je parte ! Que je fuie le plus loin possible de lui ! La lumière de Naudix inonde la pièce, frappant de plein fouet le dos du Duc. Il s'approche de moi, un sourire dément sur son visage. Je recule encore en voyant ce qu'il a en main : deux dagues aux lames effilées. Une voix désincarnée sort de sa bouche :

    – Ah la la, tu es si naïve, Solfiana. Toujours la main sur le cœur, mais toujours la tête aussi vide.

    Il rit. Son corps est agité de soubresauts incontrôlables, mais ce n'est pas pour autant qu'il n'arrive pas à marcher vers moi. Son sourire s'élargit encore en voyant ma mine horrifiée. Du liquide goutte au sol. Je retiens un cri d'effroi : un trou béant est apparu au niveau de son ventre. Du sang en coule en abondance, se répandant sur le sol de marbre à une vitesse hallucinante. Ses… Je manque de vomir. Ses organes palpitent malgré le manque de chair. Ils pulsent, se contractent avant de régurgiter leur contenu sur le sol. Antony se rapproche encore, en faisant danser les lames entre ses doigts. Je suis pétrifiée, pétrifiée de peur et d'horreur.

    – Viens par là ma douce. On va bien s'amuser…

    Je ferme les yeux en sentant la morsure glaciale d'une lame contre mon cou.

    – Solfiana ? Tout va bien ?

    Je sursaute. Clignant plusieurs fois des yeux, je reprends peu à peu contenance. Je respire de grande goulée d'air ; mon cœur se calme un peu. J'ai juste rêvé. Juste rêvé… Rien n'est réel. Le Mal n'est qu'une illusion. Le monde va très bien. Les pauvres n'existent pas, les malheureux non plus et les méchants ne le sont pas. Je vis dans un monde parfait avec des personnes parfaites. Mes battements de cœur reviennent à la normale. Les mauvais souvenirs n'existent pas…

    – Oui, oui… Tout va bien. Un peu de vertige c'est tout.

    – T-très bien alors. Je vais pouvoir te prouver que tu peux avoir confiance en moi.

    Antony s'agenouille devant moi, une main sur son cœur. J'écarquille mes yeux, mais ne dis pas un mot.

    – Moi, Antony Artum, je prête serment de te protéger jusqu'à mon dernier souffle. Que les dieux en soient témoin, je combattrai les intempéries, les créatures de la Nuit et les coups du destin pour te garder à mes côtés. Peu importe nos sentiments, peu importe la rancœur, ta sécurité sera ma priorité.

    Ce ne sont que des paroles en l'air. Dès qu'il se rendra compte de ce que je suis vraiment, il m'abandonnera sans un regard

    – Tu… enfin… tu es sûr de vouloir prêter serment ?

    Antony prend délicatement ma main et y dépose un baiser. Le rouge me monte aux joues.

    – J'en suis sûr.

    Ƹ§Ʒ

     

    Je me dépêche de natter mes cheveux avant de me précipiter en dehors de ma chambre. Avoir un visiteur la nuit n'est pas une excuse pour arriver en retard à mon cours d'escrime. Raah ! Je vais morfler aujourd'hui à l'entraînement. J'enchaîne les couloirs pour finalement déboucher sur une vaste cour. Je m'arrête, pliée en deux, pour reprendre mon souffle.

    – Encore en retard !

    Je me retourne encore un peu essoufflée. Oh la la, je sens que je vais le sentir passer.

    – Je t'ai donné trois jours de repos. Trois jours où tu n'as rien fait de productif. Crois-moi, cette séance d'entraînement sera la plus longue de ta vie.

    Je baisse les yeux. Quand est-ce que cette horrible semaine va se finir.

    – Allons petit frère, ne sois pas aussi dure. Ce n'est pas comme ça qu'il faut l'encourager.

    Je relève la tête et adresse un sourire timide à Celio.

    – Ça ne sert à rien de parlementer. De toute façon, Casel me prépare toujours un entraînement dur.

    Casel et Celio Xaran. Celio est l'aîné et assume parfaitement ses responsabilité. Malgré le fait que l'on n'est pas de la même famille, il s'occupe de moi comme sa cadette. Celio fait toujours attention à ce que je ressens, contrairement à Casel. Lui, il est toujours froid et dur avec moi. Il ne me donne aucun répit lorsqu'il m'entraîne à manier une épée. Mais bon, au fond, je sais qu'il s'inquiète beaucoup pour moi, même s'il le cache sous des airs de gros dur. À mon grand désarroi, ils sont tous les deux plus grands que moi. Du coup, ils ont toujours l'avantage quand ils me chipent mes affaires pour s'amuser ou me punir. Enfin, le deuxième c'est le prétexte qu'utilise Casel. Sinon, en apparence, ils n'ont rien en commun. Celio préfère garder ces cheveux court, tandis que Casel les laissent pousser pour ensuite les attacher en une queue de cheval basse. Ceux de Celio sont gris minéral, ceux de Casel blancs. Yeux pervenche, yeux lavande. En résumé, rien de bien semblable.

    – Attrape !

    Je réceptionne l'épée, non sans manquer de tomber à la renverse. C'est vrai quoi ! Cette épée doit peser le double de mon propre poids. Une goutte de sueur coule le long de mon visage pendant que j'essaie d'empoigner le manche de l'arme. Je n'avais pas compris que entraînement dur rime avec une arme qui pèse plus lourd que moi. Voyant bien que je peine à la brandir, Celio se tourne vers son frère.

    – Et si tu lui accordais une séance pour reprendre le pli ?

    Casel nous lance un regard mauvais, mais cède quand même.

    – Très bien, une séance de remise en forme. Une seule.

    Sans me lancer un regard de plus, il s'éloigne sur l'aire d'entraînement. Je le regarde dégainer Fang, son sabre à la garde si particulière. Presque contre ma volonté, mon regard tombe sur le glaive de Celio. Un hibou est gravé sur le manche.

    – Allons nous asseoir Solfi.

    Il passe nonchalamment un bras autour de mes épaules. Je me blottie contre lui. Que ça fait du bien un peu de chaleur humaine. Une main ébouriffe mes cheveux.

    – Je t'ai tant manqué ?

    – Oh oui ! Avec tout ce qui s'est passé dernièrement, je n'ai pas eu le temps de m'amuser.
    Il rit à ma remarque.

    – Toi ? Ne pas t'amuser pendant tes jours de congé ? Qu'est-ce qui a bien pu arriver pour que cela arrive ?

    J'ai ouvert la bouche pour lui répondre, mais aucun mot n'en sort. Mes sourcils se froncent. Je me souviens effectivement que quelque chose d'horrible s'est passé, mais c'est tellement flou. Je cogite pendant encore quelques minutes, mais ça ne me revient pas. Il me semble tout de même que ça avait un rapport avec une discussion derrière une porte fine… Bon, pas grave. Si j'ai oublié, ça ne devait pas être important.

    – Alors ?

    – Je… je ne m'en souviens pas.

    – Ce n'est pas grave Sucrette.

    Nous nous asseyons sur un banc en bois à proximité. J'observe pensivement Casel donner des coups de lame dans le vide. Les mouvements qu'il exécute ne m'intéresse pas vraiment en fait. En vérité, c'est plus la garde du sabre qui attise mon intérêt.

    – Dis-moi Celio, c'est bien une vipère sur la garde de la Fang ?

    – Oui, pourquoi ?

    – Non, pour rien. Pour rien…

    Chapitre 8Chapitre 10


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