• Chapitre 4

    Un complot au sein même du Château ! Un peu d'aspirine s'il vous plaît.

    Journal n° 2

    « Je ne peux pas détacher mon regard de la flaque qui grandit, imbibant peu à peu le tapis du couloir. Pourquoi faut-il que ça tombe sur moi ça !? Je sens une faiblesse au niveau des genoux et m'appuie désespérément contre le mur. Un meurtre au sein du Château ? Impensable ! C'est un lieu sûr et des gardes surveillent vingt-quatre heures sur vingt-quatre… Les gardes… Je regarde autour de moi, mais pas la moindre armure à l'horizon. D'habitude, quand je sors de ma chambre, il y a toujours un Chevalier qui se balade dans les couloirs même lors d'examen de la part des Guérisseurs… La terrible vérité me saisit à la gorge. Un meurtre au sein même du palais sans qu'aucun garde ne vienne voir ne peut dire qu'une seule chose : il y a un traître au sein même des Chevaliers.

    - … il ne restera qu'à faire le ménage dans cette bicoque et on sera débarrassé de tous ces nobles. Maintenant, tu vas t’occuper d'éliminer…

    Sa phrase s'arrête subitement. Un frisson me parcoure. Sans attendre plus, je me précipite aussi silencieusement que possible derrière une tapisserie rasant de près le sol. J'entends la porte s'ouvrir brusquement puis le silence. Presque automatiquement, je retiens mon souffle. Malgré tout, je ne peux empêcher mon cœur de tambouriner. Il frappe si fort que l'espace d'un instant j'ai l'impression que les mystérieux meurtriers l'entendent aussi. Tels des prédateurs, ils se délectent de la peur qui m'habite et s'avancent à pas feutrés vers moi avant de… La tapisserie se soulève d'un coup sec. Mon cœur se fige subitement. Tout ralenti : la tapisserie se déplaçant dans l'air à une vitesse terriblement lente, les battements de mon cœur horriblement espacés. Le temps se joue-t-il de moi ? N'est-ce pas déjà suffisant de voir la mort face à soi ? Apparemment non. Tout mon corps est figé, pétrifié dans cette position en attendant le coup fatal. Pas une seule incantation ne me vient à l'esprit. J'ai la tête désespérément vide, laissant le champ libre à ma peur pour me clouer sur place. Avec une cruauté qui me dépasse, le temps reprend son cours.

    Drapé d'un manteau noir à capuche, l'homme se tient devant moi. Il me dépasse de deux bonnes têtes et son dos est étrangement voûté vers l'avant. Des épaules larges et des bras musclés sont facilement reconnaissables sous ses vêtements. Cet homme à l'apparence d'un meurtrier, du moins, dissimulé ainsi sous cette masse de tissus. Il me regarde pendant de longues secondes avant de soupirer.

    - Fausse alerte, j'ai cru entendre quelqu'un.

    - Mouais. La prochaine fois, je t'étripe si tu mets encore ta sale main sur ma bouche !

    Sans me lancer un regard de plus, il retourne dans la pièce. Je referme vivement ma bouche qui s'est ouverte sous l'effet de la surprise. Il… Il m'a vraiment épargné ? C'est insensé, je suis un potentiel témoin de leur petite discussion et il ne me livre même pas à sa cheffe ! C'est là que je remarque enfin les drôles de particules bleues qui flottent autour de moi. Un sort de dissimulation. Je fronce les sourcils : je n'ai pourtant invoqué aucun sort. Alors… Un frisson me parcoure. Quelqu'un d'autre vient de me protéger… et il ou elle m'observe. Je ne peux m'empêcher de regarder les alentours, même en savant parfaitement n'y voir personne. Ce n'est pas vraiment le fait d'être observée qui m'effraie, c'est plutôt de ne pas savoir ce que cette personne attend de moi. Mes lèvres se pincent. À moins que cette personne sait pour mon secret. Ma main tient nerveusement la pierre verte que j'ai en pendentif. Si c'est ça, si cette personne en a après moi pour mes dons contre-nature, je n'ai d'autre choix que de…

    - Mademoiselle ?

    Je me retourne, le cœur au bord des lèvres. Le soulagement m'envahit quand je me rend compte que ce n'est pas un Chevalier qui est devant moi. Une jeune fille de mon âge, aux cheveux lavande et au regard assorti, se trémousse mal à l'aise au milieu du couloir. Ses mains froissent nerveusement le tissu blanc de son tablier, abîmant par la même occasion sa robe prune.

    - Ah, c'est toi Aldena. J'ai eu peur qu…

    - Désolé de vous interrompre mademoiselle, mais j'ai besoin de vous parler en toute tranquillité.

    Aldena jette un regard à la ronde, tressaillant en croyant voir une ombre bouger. J’acquiesce sans rien dire de plus et marche d'un pas décidé vers ma chambre. Beaucoup de nobles de la Cour pensent qu'Aldena n'est qu'une moins que rien et qu'elle a beaucoup de chance de pouvoir être aussi proche de la famille royale. Moi, je ne suis pas d'accord. Certes, elle ne possède aucune magie, mais sa capacité de réflexion et sa manière si étrange de voir les sorts font d'elle une très bonne alliée et, accessoirement, une confidente. En jouant un peu des coudes et quelques sourires innocents, j'ai réussi à arracher l'autorisation pour qu'elle soit ma femme de chambre malgré sa jeunesse. Néanmoins, je ne me mets pas des œillères pour ce qui est des regards soupçonneux des nobles envers mon amie. Je ne ferai jamais rien contre elle. Aldena est ma seule alliée ici : elle est mes yeux et mes oreilles.

    On arrive finalement devant la porte de ma chambre. Je tourne la poignée et laisse la entrer. Si Matrone Kerla me voyait, j'aurais eut droit à une bonne correction. J'entre à mon tour dans la pièce avant de me laisser tomber sur mon lit. Je regarde le plafond et demande d'une voix incertaine :

    - Que voulais-tu me dire ?

    Je tripote nerveusement mon pendentif en me disant que presque toute ma vie n'est que… J'avale ma salive et me remets les idées en place. Ce n'est pas le moment de craquer, pas après toutes ces années.

    - On m'a donné ça pour vous.

    Je regarde à nouveau Aldena qui me tend un bout de papier plié en quatre. Mon regard croise le sien, mais elle ne semble pas vouloir me laisser lire sur son visage. Je soupire avant de prendre la feuille et de la déplier. Je parcoure à peine le message que, déjà, je n'ai plus envie d'en lire plus.

    - Qui t'a donné ça ?

    Je ne peux m'empêcher ma voix de trembler de rage. Je ne fais même pas attention au visage apeuré de mon amie qui recule de quelques pas devant ma fureur.

    - Je… enfin…

    - Mais parle à la fin !

    Aldena recule encore et c'est là que je rend compte de ce que je fais. Mon visage se décompose tandis que les remords gagnent mon cœur. Je ne devrais pas lui parler ainsi. Pourquoi ces simples mots me mettent hors de moi ? Ce ne sont après tout que quelques tâches d'encre qui… Les mots repassent une nouvelle fois dans ma tête. Un frisson me parcoure. Décidément, ça m'arrive beaucoup trop ces derniers temps. Je passe distraitement une main dans mes cheveux comme si ce geste pouvait faire fuir tous mes tracas.

    - Je suis désolée, je…

    - Ne vous excusez pas. J'ai juste été surprise par votre manque de sang froid, me coupe-t-elle avant de sourire d'un air rassurant.

    Je lui lance un petit sourire peiné en réponse. C'est fou quand même, sa présence me rassure toujours même quand il n'y pas de raison pour que je m'inquiète.

    - Tu n'es pas obligée de me vouvoyer tu sais.

    - Je le sais, mais on ne change pas les vieilles habitudes. Pour ce qui est de cette « lettre », je ne sais pas. Je l'ai trouvée dans mon tablier ce matin avec cette drôle de fiole.

    Joignant le geste à la parole, Aldena sort d'une de ses poches un flacon rempli d'un liquide bleuté. Je me lève pour la voir de plus près. Des coupes à la porte nous interrompent. Mon amie s'empresse de cacher le flacon sous son uniforme et d'aller ouvrir. Sans même voir la personne, je sais déjà que cette journée va être pénible.

    - Maître Arzéo est là pour vous donner votre cours de sciences magique.

    - Dîtes-lui que j'arrive, le temps de me préparer.

    Aldena sourit et sort de la pièce, emportant par la même occasion ma fausse bonne humeur. Je regarde une nouvelle fois le morceau de papier froissé dans mon poing. Je tressaille et m'empresse de le détruire. D'étranges auréoles noires se forment sur les bouts, engloutissant les quelques mots griffonnés à la va-vite.

    Tu aurais dû mourir, je t'ai protégée. Je sais pour ton secret. Tu as une dette envers moi. Tu vas…

    Le reste de la phrase est englouti par la magie interdite que je possède.

     

    Ƹ§Ʒ

     

    Que le plafond peut être intéressant à cette heure avancée de la Nuit. J'ai réussi à survivre à mes cours de la journée et au dîner du soir. Je me frotte nerveusement l'épaule. Je ne peux m'empêcher de repenser à cette impression d'être observée pendant toute l'heure du repas. Un regard pesant qui n'a cessé de me fixer pendant que j'essayais tant bien que mal de profiter de la délicieuse nourriture qui était servie ce soir.

    Je change encore de position. Voilà bien plusieurs heures que je ne trouve pas le sommeil. Contrairement à moi, Aldena dort d'un sommeil de plomb dans la pièce d'à côté. Le silence m'englobe de son étreinte glacée qui ne me rappelle que trop mon illégitime place ici. D'autant plus que je suis une erreur de la nature. Un pincement au cœur me prend en repensant à ma journée, une journée de plus à mentir. Seule Aldena est au courant. Harion et même toute la Cour pense que je ne suis qu'une Télépathe. Mes lèvres s'étirent en un sourire amer. De même que la soi-disant pierre qui me sert de collier est censée limiter mes pouvoirs. Ce n'est qu'un simple caillou vert qui ne possède aucun pouvoir. Je me suis confiée à Aldena parce qu'elle n'est pas sous l'influence de la politique et qu'elle m'est plus fidèle qu'aux Roi et à la Reine. Si seulement je pouvais…

    Des coups retentissent du côté du balcon. Je me fige tandis que les coups reprennent contre la vitre. Je me lève et me dirige vers la source du bruit. Je sais que je ne devrais pas le faire, surtout après ce qui s'est passé aujourd'hui, mais je continu à avancer. Mes pieds effleurent le parquet, glissant sans bruit. J'écarte doucement le rideau et ouvre la porte-fenêtre. L'air glacial de la Nuit m'accueille, faisant voler mes cheveux blonds. Au premier abord, il n'y a rien d'étrange...

    Je regarde éberluée la jeune fille qui se tient devant moi. Je ne peux m'empêcher de me demander si je ne ferai pas mieux de refermer tout de suite cette porte. La fille qui se tient devant moi me ressemble étrangement beaucoup : mêmes cheveux blonds, mêmes yeux bleus et même peau légèrement pâle. Avec nonchalance, elle se tient debout sur la fine rambarde de mon balcon, plongeant son regard malicieux dans le mien.

    - Ravie que tu aies répondu à mon appel.

    Mes sourcils se froncent. Il m'est un peu inconcevable qu'une telle lettre puisse être écrite par une adolescente que je ne connais pas et n'ai jamais vu de ma vie. Impossible de réprimer ma méfiance à l'idée qu'elle détienne des informations si personnelles sur moi. Je l'inspecte de bas en haut sans rien déceler d'étrange… Mon corps se raidit. Mon esprit me hurle que c'est qu'une illusion d'optique, mais je sais que je n'ai pas rêvé. Pendant une fraction de secondes, pendant ce temps si infime, une petite marque noire en forme de croisant de lune ponctuée d'un point est apparue sous son œil. Si ce n'était que pour faire joli, je n'aurais pas tiquer, mais ce signe gravé sur sa peau signifie qu'elle vient du monde du Crépuscule. Rien de bien très sombre, du tout. Le monde du Crépuscule est juste baigné d'une lumière différente que certaines personnes supportent, mais pas celle de mon monde, celui de l'Aube. Si une guerre a éclatée il y a longtemps, il ne reste aucune trace de cette possible bataille sanglante. Certaines tensions restent néanmoins de vigueur et interdisent à quiconque de passer la frontière pour changer de « dimension », sauf, peut-être, pour une occasion exceptionnelle. Alors…

    - Que fais-tu dans le monde de l'Aube.

    Je me sermonne mentalement : ma voix tremble sans raison.

    Pendant une fraction de seconde, le visage de l'inconnue se fige avant qu'un autre grand sourire malicieux se dessine sur son visage.

    - Peu importe mes raisons. Par contre, je crois bien que ce que j'ai à te dire t'intéresse.

    - C'est donc ça que tu me proposes pour ne pas signaler ta présence ici ?

    Je ne peux m'empêcher de relever un sourcil. Passer sous silence cette information est criminelle et passable de mort. Pourquoi donc ? Pour la simple et bonne raison qu'un être d'un des mondes n'a absolument aucune raison de venir dans l'autre sans demander une permission. Si c'est le cas, ce n'est sûrement pas pour des raisons chevaleresques.

    Son sourire s'élargit encore.

    - Effectivement, à moins que tu ne veuilles mourir ? »

    Chapitre 3Chapitre 5


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