• Chapitre 3

    Après avoir passé une nuit blanche, voilà que ma meilleure amie débarque pour me dire que peut-être nos ennemis sont encore en vie et menacent le royaume... Chouette.

    La décision

    Je referme violemment le carnet. Les battements de mon cœur, retentissants bruits de terreur pure, ébranlent mon corps entier. Je ne peux empêcher mes mains de trembler, ces frissons de s'insinuer sous ma peau… Je ne peux pas empêcher ma peur de monter sur son trône. Elle me regarde sournoisement, sa couronne fièrement posée sur sa tête. Elle me sourit… Je jette au loin le livret. Il rebondit sur le parquet avant de s'immobiliser sur le sol, figé dans cette position d'agonie. Sa simple vue me brûle les yeux. Je détourne le regard, mais je n'arrive pas à échapper à mes sombres pensées. Elles me poursuivent, s'accrochent à mes jambes, s'enracinent dans ma tête… Je n'en peux juste plus ! Je… Je me sens lasse, lasse de devoir à nouveau affronter mes peurs, lasse de… de ma vie. Des larmes roulent sur mes joues et je ne fais rien pour les en empêcher. Je suis faible. C'est une vérité que je ne peux pas cacher, que je ne peux pas recouvrir de velours. Personne n'est dupe, ils jouent tous la comédie juste pour me faire plaisir, pour essayer de m'attribuer un palmarès bien trop glorieux pour moi. Mais qu'est-ce qu'ils ont tous à me courir après ?! Pourquoi suis-je le centre d'attention ? Est-ce donc trop compliqué de vivre une vie sans… sans danger ?

    J'essuie rageusement mes larmes. À quoi bon pleurer si je ne peux rien décider. Un sourire amer se dessine sur mes lèvres. Oui, c'est bien ça… Cette « fille » s'amuse encore avec moi. Je ne suis qu'une marionnette entre ses mains, une poupée de chiffon qui n'a pas plus de valeur qu'un pion sur un échiquier… un soldat qui exécute les ordres. Mais pourquoi ! Pourquoi continuer cette tragédie ? Pourquoi ne pas... me laisser tranquille ? Je ne comprends pas. Je ne comprends plus rien. Tout est fini pourtant. Nos ennemis… le Cercle d'Ombre… ils se sont tous jetés dans le Vide. Plus d'ennemis, plus de problèmes non ? Alors, pourquoi toujours plus d'ennuis ? Je ne sais pas.

    Je me roule en boule, seule dans la nuit. Antony, pourquoi tu n'es jamais là quand j'ai besoin de toi ? Tu as toujours une affaire importante loin de la maison, tu es toujours plus loin de moi. J'ai peur quand la solitude me tient compagnie, quand elle me serre dans ses bras. Même les étoiles n'arrivent pas à m'arracher une pensée rêveuse. Je les vois à travers les carreaux de ma fenêtre. Petites lueurs célestes qui faisaient tant voyager la petite fille, elle aussi seule dans sa chambre. Quel dommage que leur lumière soit ternie par la vérité.

    Je secoue la tête. Quand suis-je devenue aussi déprimante ? Peut-être depuis… Je ne devrais même pas y penser. Mon regard parcoure la pièce, cherchant désespérément une distraction, mais rien ne récompense ce vain espoir. Sauf peut-être l'horloge qui indique minuit-dix, mais ça n'a rien de très divertissant. En réalité, tout est si fade, si impersonnel ici. Cela fait déjà bien longtemps que j'ai dit au revoir aux jolies fleurs colorées et aux arcs-en-ciel multicolores. Toutes ces jolies fariboles, je les ai abandonnées en même temps que le merveilleux mensonge dans lequel je vivais.… Il faut vraiment que j'arrête de penser au passé.

    Mais non, après tout, c'est le moment de prendre tes responsabilités.

    Je me fige. Non, ce…. Ce n'est pas possible !

    Mais si, mais si. Je suis toujours là et je le serais toujours. Après tout, je suis ta plus fidèle amie.

    Mes mains se plaquent sur mes oreilles. Je ne veux plus entendre cette voix. Je… je croyais que ce problème était réglé et que…

    … plus jamais je ne serais dans ta tête ? Tu me fais bien rire. Toi, te débarrasser de moi ? Jamais de la vie. Tiens, puisqu'on en parle…

    Ma main droite se lève subitement, animée d'une volonté propre. J'essaie de l'en empêcher, mais il est déjà trop tard : entre mes doigts se tient déjà le livret noir. Je n'arrive pas à le lâcher, je n'arrive pas à détacher mon regard.

    Tu vois ? Tu as beau dire le contraire, son contenu t'obnubile. Tu as envie de te sentir coupable, tu as envie de « savoir » qui tu es réellement. Tu peux le brûler, l'enterrer six pieds sous terre, tu ne pourras jamais te défaire de cette impression de jouer la comédie. Relis donc ces pages, tu verras que j'ai raison. Après ça, tu te sentiras légère, tu seras prête à renaître !

    Mes yeux se ferment. La pression s'accumule dans ma tête. Elle remplit chaque espace vide, menace de tout faire exploser… Je craque. Une boule de chaleur grandit en moi, se transformant rapidement en feu. Il me brûle de l'intérieur, efface toute sensation, dévore simplement cette voix dans son brasier infernal. Je me sens mieux, beaucoup mieux. Tout part en fumée, laissant comme cendres une sensation de légèreté. Un instant bien trop idyllique pour durer. Il se brise, se pulvérise en même temps qu'une onde de choc traverse mon corps entier.

    Je rouvrent précipitamment mes yeux. La pièce est normale : rien de renversé ou de cassé. Seulement, j'ai un goût amer en bouche et l'impression désagréable d'être vide, pourtant rien n'a changé. J'ai peut-être rêvé finalement, je n'ai peut-être pas utilisé ma magie… Je me crispe. Il y a quelque chose de granuleux dans ma main. De la cendre. Je la jette par terre et recule vivement. Non, je n'ai quand même pas… J'appuie sur ma tempe, mais je n'entends rien. Le bourdonnement dans ma tête s'est tu. Je n'aurais pas dû, je m'étais promis de ne plus utiliser la magie !

    Et pourtant tu l'as fait. (Elle glousse) Que c'est amusant de te voir désespérer pour un petit sort de désintégration. Je me souviens que, quand tu étais jeune, tu as fait disparaître un dragon entier dans le Vide !

    Tais-toi ! Tais… Tais-toi ! Seul l'écho du silence me répond. Mes muscles se relâchent et je pleure sans retenue. Des larmes de soulagement ou de peur, je ne saurais le dire. Elles coulent tout simplement le long de mes joues avant d'être recueillies par les draps. Je tente de les chasser, sans succès. Un sanglot m'échappe presque, mais je le retiens au dernier instant. J'ai déjà suffisamment craquer comme ça. Faute de mieux, je relève la tête pour guetter l'heure. Minuit-dix. Un sourire amer se dessine sur mes lèvres. Cette heure me poursuit encore. Je ramène à moi mes jambes, posant mon menton sur mes genoux.

     

    Ƹ§Ʒ

     

    Je suis restée là jusqu'à...je ne fais plus attention à l'heure. Tout ce que je sais, c'est que l'aube se lève. Les premiers rayons du soleil viennent chatouiller mes pieds, caressant ma peau avec sa douce chaleur. Malgré cette délicate attention, je peux que regretter l'absence d'Antony. J'aimerais tellement me blottir contre lui, lui confier mes doutes et mes problèmes… J'aimerais qu'il me serre dans ses bras.

    Une sensation de vide se fait sentir dans mon corps. Je n'ai pourtant ni faim, ni sommeil. Je ne fais que rester en boule sur mon lit, la dépression peinte sur le visage. Pas la moindre envie me titille. C'est comme si lire ces courts paragraphes a suffit à me vider de toute mon énergie. Pourtant, ce ne sont que des chimères que j'ai moi-même inventé.

    Toc toc !

    Je relève la tête. Encore de la visite imprévue, ça ne sort pas de l'ordinaire. Avec un soupir, je me remets sur pied et marche lentement jusqu'à la porte d'entrée. Les couloirs sont vides de présence. Je ne suis qu'une apparition dans ce vaste cimetière de souvenirs. Je les ai enterrés un peu par-ci, un peu par-là. Il me suffit de poser mon regard sur un objet pour qu'ils jaillissent du néant. Je continue à avancer. L'hésitation m'envahit quand le contact froid de la poignée se propage dans ma main. Ne serait-ce pas mieux d'attendre et de passer une journée tranquille pour une fois ?

    - Je sais que tu es derrière la porte ! Allez, ouvre-moi quoi !

    Cette voix… J'ouvre rapidement la porte pour me retrouver face à une jeune femme. De longs cheveux blonds savamment tressés, deux yeux bleus océan et un sourire malicieux.

    - Alors comme ça, on fait patienter sa meilleure amie sur le pas de la porte ?

    Les mots me manquent. J'ouvre la bouche, mais aucun son n'en sort. Je ne sais pas quoi faire, ni dire. C'est que… Ça fait tellement longtemps que je ne l'ai pas vue. Les émotions se bousculent dans ma tête, me clouant partiellement au sol. Un nouveau sourire insolent vient éclairer son visage. Sans attendre que je l'invite, elle rentre à l'intérieur et s'assoit sur un canapé crème, croisant les bras en me regardant fixement.

    - Eh ben quoi ? C'est la vie de femme au foyer qui te rend muette ?

    - N...non. C'est juste que…

    Un rire nerveux s'échappe de ma bouche. Je passe une main dans mes cheveux. Je ne m'attendais pas à revoir Midona après son silence répété et encore moins sous cette forme.

    - Ça fait longtemps pas vrai ? finis-je par dire.

    - Quinze ans non ?

    J’acquiesce. Timidement, je me place dans le fauteuil en face d'elle. Elle me regarde sans rien dire. Le silence s'éternise sans qu'aucune de nous n'ose dire quoi que ce soit. Ma bouche est scellée de même que mon regard reste accroché au bout de mes pieds. Le malaise est presque palpable, à tel point que je voudrais prendre un balai et le mettre dehors juste pour le plaisir de retrouver notre complicité. Si les choses étaient si faciles, il aurait suffi d'un claquement de doigt pour tout arranger… Un soupir me fait relever la tête.

    Midona ne sourit plus. Elle me semble plus sérieuse et beaucoup plus fatiguée que dans mes souvenirs. Son regard semble regarder quelque chose d'autre que ce parquet de bois clair ou cette table basse aux gravures dorées, quelque chose de beaucoup plus lointain. C'est plutôt étrange de la voir dans cet état. D'habitude, elle plutôt prompt à faire des farces et à m'enquiquiner à longueur de journée. Et dire que j'aurais pu assumé les mêmes charges qu'elle si je n'avais pas décidé de dissimuler la vérité.

    - Alors, ce boulot de Reine ?

    Midona me regarde à nouveau. Un maigre sourire se dessine sur ses lèvres, ne cachant en rien son inquiétude.

    - Rien de bien particulier si on veut. Paperasse, discours, réunion et encore paperasse.

    Je plonge mes yeux dans ses prunelles océans. Quelque chose cloche et je le sens bien. Les subtiles poches sous ses yeux, la ride au coin des lèvres et l'étrange lueur dans son regard parlent d'eux-mêmes.

    - Tu n'es pas venue pour une simple visite.

    - Toujours aussi perspicace.

    Silence.

    Midona évite soigneusement mon regard et ses mains n'arrêtent pas de jouer avec le tissu noir de ses vêtements. Je la connais par cœur ma petite Midona, même si cette apparence humaine me déstabilise un peu. Où est donc passée sa peau de Blanche-Neige ? Sa chevelure couleur givre et ses yeux vairons ? Il est clair qu'après la célébration de leur victoire il lui soit difficile de se promener sous sa vraie forme et de jour en plus, mais, tout même, je me sens plus à l'aise quand je peux voir la véritable Midona.

    - Tu peux me dire ce qui te tracasse, ça ne me dérange pas.

    - Je le sais bien, mais…

    - Mais ?

    Elle respire un bon coup avant de se lancer.

    - Je pense que le Cercle des Ombres refait surface.

    Je me crispe en entendant ce nom. Combien de fois je me suis réveillée en sueur la nuit après un cauchemar avec un chevalier fantôme et des épées volantes ? J'avale difficilement ma salive avant de demander d'une voix légèrement tremblotante :

    - T… Tu en es sûre ?

    - À vrai dire, pas vraiment. Nous les avons tous vu sauter dans le Vide et difficile d'affirmer qu'ils sont morts.

    - Alors, qu'est-ce qui te dit que cette organisation est toujours active ?

    - Vois par toi-même.

    Midona tend sa main et fait mine de prendre un objet qui apparaît directement dans sa main. Emballé dans un morceau de tissu noir. Elle le dépose délicatement dans ma main. Je la regarde, mais rien sur son visage ne m'indique ce qui se trouve dans cet emballage. Les mains tremblotantes, je retire le carré de soie de l'objet mystère. Un crâne de dragon. Je ne comprends pas tout de suite où elle voulait en venir jusqu'à que mes yeux ne tombent sur les orbites vides. Deux flammes bleues viennent d'apparaître dans les trous où auraient dû se trouver les yeux de la bête. Un cri de surprise m'échappe et je lâche précipitamment le crâne par terre. Je ne sais par quel miracle il est encore entier, mais sa vue me donne des frissons. Sans plus paniquer que ça, Midona remballe sa trouvaille et le refait disparaître dans sa… son compartiment invisible dans le Néant.

    - Convaincue ?

    - Oh oui. Tu l'as trouvé où juste ? Un crâne encore rattaché à une âme de dragon, ça court pas les rue.

    - C'est là où les choses se compliquent. Harion ne voulait pas t'embêter, alors il m'a fait venir jusqu'ici. Apparemment, les gardes auraient arrêté un gamin louche et ils ont trouvé le crâne dans sa sacoche. Bien sûr, il n'a pas voulu dire d'où il venait. Alors, ils l'ont emmené dans une cellule. Une heure plus tard, les gardes ont retrouvé son corps dans sa cellule et un flacon de poison à côté de lui.

    - Et c'est ça qui te persuade que le Cercle est encore là ?

    - N'essaie pas de te voiler la face Solfi. Tu sais aussi bien que moi que la Nécromancie est interdite de même que ceux qui la pratiquent sont d'une rareté hors norme. Et, entre nous, ils n'ont pas toujours toute leur tête.

    - Peu importe. Qu'est-ce que tu veux que je fasse ?! Tu me vois courir dans les rues avec un bébé et ma rapière à la main ?

    - Pourquoi pas. Ce serait plutôt marrant de te voir botter le derrière d'un malfrat avec le gros ventre que tu as. Mais, je suis tout de même contente que aies encore cette épée.

    - Pourquoi tu dis ça ?

    - Tu as bien désintégré le journal, alors qu'il moisissait dans ce tiroir depuis quinze ans.

    - Donc, tu m'espionnais hier soir ?

    - Oui et alors ?! Tu dois avoir l'habitude depuis le temps.

    Son sourire se fane à nouveau. Midona soupire. J'ai bien l'impression que je la fatigue, mais la vie pleine de dangers ce n'est plus pour moi. J'ai rangé mon épée dans un placard pour ne plus avoir sous les yeux l'objet qui a vu toutes mes douleurs et peines. Ce n'est pas maintenant que je vais le ressortir de sa camisole de bois. Néanmoins, je ne peux pas dire que ma vie actuelle me convienne. Trop ennuyante.

    - Écoute, je suis juste là pour te remotiver au combat. Le danger guette et… et c'est mieux de se préparer à parer toutes éventualités. Harion et moi avons des responsabilités politiques : nous ne pouvons pas nous permettre d'être en première ligne. Mélody est déjà en train de reprendre son entraînement alors qu'elle est déjà maman. De plus, Solfi, tu es la meilleure épéiste et le monde a de nouveau besoin de toi. Je te dis ça en tant qu'amie. Tu ne pourras pas protéger ta famille de nouveaux ennemis si tu n'as pas encore totalement vaincu les anciens. Alors...

    À nouveau, Midona cherche dans son compartiment du Néant et en ressort un carnet semblable à celui que j'ai transformé en cendre. Elle me le tend, le bras tremblant en attendant ma décision.

    - J'attends ta réponse. Sache que je t'épaulerais du début jusqu'à la fin s'il le faut.

    Je la regarde dans les yeux, mais elle ne fléchit pas. Difficile de tenir tête à pareil entêtement, mais en même temps… Je ne tiens franchement pas à revivre cette aventure si terrifiante. J'y ai perdu bon nombre de personne que j'aime et, revivre une nouvelle fois leur mort, ce serait vraiment trop. D'un autre côté…

    - D'accord, mais à une condition.

    - Laquelle ?

    - Après que le continent saura la vérité, c'est toi qui fera fuir les foules en colère.

    - Marché conclu. Au boulot ma vieille !

    Chapitre 2Chapitre 4


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