• Chapitre 1

    Objectif de la mission : infiltrer un convoi. Phase numéro une : voler l'itinéraire du convoi. Terminée. Phase numéro deux : se procurer un uniforme de garde. Terminée. Phase numéro trois : falsifier un rapport de mission. Terminée. Phase numéro quatre : aller chercher du poison d'Artalban. En cours.

     

    Je m'aventure plus loin dans la rue. Il y avait un couple derrière moi. Un frisson me parcoure des pieds à la tête. Il y avait, car ce n'est plus qu'un cadavre que tient le vampyre dans ses bras. D'une pâleur mortelle, sa compagne ne prononcerait plus un mot. La pauvre a eu de la chance : elle est morte avant que son amoureux ne commence à la vider de son sang. Le bruit de succion parvient jusqu'à mes oreilles. Je me faufile dans une ruelle, le cœur battant. Non, je n'ai pas peur. Sanglante n'a jamais peur. Ma main effleure ma ceinture. Dissonance y est accrochée. Une lame qui ne faillit jamais, comme moi. Je détruirai tous les obstacles qui se dresseront sur la route de Dame Afa. Sanglante lui voue une confiance aveugle. Elle sait ce qui est le Mal et le Bien, elle connaît ce qui est bénéfique pour cette terre. Sanglante ferait tout pour satisfaire le moindre de ses désirs, quitte à tuer des gens qu'elle aime. À cette pensée, un sourire amer se dessine sur mes lèvres. Les seules personnes que j'ai un jour chéries sont mortes, noyées dans leur propre sang. Je les vengerai… Je tuerai, j’éradiquerai cette race impure qui a tant de morts sur la conscience. Des menteurs… des abuseurs… des tueurs… Ils ne sont pas digne de vivre… d'être aimés… de fonder une famille ! Ma main effleure la lame empoisonnée de Dissonance. Oui, je les exterminerai de mes propres mains.

     

    Est-ce vraiment ta volonté ? N'est-ce pas plutôt les désirs de Dame Afa ?

     

    Je m'arrête subitement. Encore cette voix, une voix d'enfant. Peu importe si c'est moi qui ai pris cette décision, Dame Afa n'a jamais tort. Jamais ! Personne ne répond. Un peu rassurée, je continue à marcher, répétant les mêmes phrases dans ma tête. Sanglante ne doit pas se poser de question. Sanglante obéis et tue selon le désir de Dame Afa. Je n'ai pas à remettre en question les ordres… Je dégaine Dissonance, en avançant mon autre main tremblante devant moi. Je plante la lame dedans. Aucun cri de douleur ne s'échappe de ma bouche. Je ne fais que me mordre la lèvre pour endiguer la souffrance. C'est une punition méritée et me montrer faible serait un déshonneur. Sans plus de cérémonie, je retire ma dague de ma chair avant de la remettre à ma ceinture, sa lame souillée de sang. La plaie est profonde, mais, en quelques secondes, elle n'est plus qu'un souvenir douloureux. Du bout des doigts, j'effleure ma paume auparavant meurtrie. Il ne reste qu'une mince cicatrice presque invisible tant elle est fine. Bien, je n'aurais pas besoin de la panser. Je me remets en marche, sans que le poison ne m'affecte. Un des avantages à être une sang-mêlée… et aussi la raison de la mort de mes parents. J'efface rapidement cette pensée. Ressasser le passé ne sert à rien, puisque mon avenir est aussi sombre et froid que la mort. Je ne serai jamais heureuse… je ne serai jamais amoureuse…

     

    Une bouteille tombe derrière moi et roule dans la ruelle avant de s'arrêter contre le mur avec un léger tintement de verre. Je me fige sur place. Il me semblait bien que j'étais suivie.

     

    – Tu n'es pas très discret pour un trafiquant de poison.

     

    – Si tu le dis.

     

    Silence.

     

    Il ne dit rien, ne fait rien. Il reste juste dans mon dos en m'observant attentivement. Quel étrange trafiquant : il ne sait pas suivre quelqu'un discrètement, il ne se dépêche pas d'encaisser son argent… Ce pourrait-il qu'il soit… Mon instinct de chasseur se réveille. Je ferme les yeux pour calmer le flot d'informations. Sa respiration. Calme. Deux mètres sur la gauche. Pas d'objet en fer. Aucun signe de nervosité. Il me sous-estime. Une aura différente. Pas humain. Danger.

     

    – AAAAAAAHH… !

     

    Je rouvre les yeux. Du sang. Du sang partout. Du sang frais. Je retire mes griffes de son corps. Il retombe lourdement au sol. Je ne sens rien. L'odeur de la Mort ne rode pas. En vie. Je grogne de mécontentement. Sanglante n'aime pas quand les proies résistent. Mon regard tombe sur les taches rouges. Je renifle le sang sur mes écailles. Du sang de loup-garou. Pas d'argent sur moi. Je me sermonne mentalement. Erreur de débutant. Des bruits de pas se répercutent dans la ruelle. Il reste peu de temps. Avec précipitation, je m'agenouille et commence à fouiller dans ses poches. Aucun papier. Aucun indice. L'identifier est donc impossible.

     

    Clink !

     

    Je m'empare du flacon de poison. Il n'a pas menti, il l'a bien apporté. Seulement… J'écrase avec mes griffes le trackeur qui accompagne la fiole. Seulement, c'était un faux-jeton. Le reste de son équipe ne va pas tarder à arriver. Avec un peu de chance, ce loup-garou n'a pas eu le temps de mémoriser mon odeur. L'odeur des reptiles est plutôt rare par-ici. Par contre… Je m'approche de son cou et hume son parfum. L'odeur des sous-bois…

     

    – Je crois que la dernière trace de son trackeur était par ici !

     

    – Dépêchons-nous alors ! Ces signaux de vie sont faibles !

     

    Ils ont fait vite pour une fois. Je rabats ma capuche et m'enfuis dans une ruelle adjacente, laissant tomber derrière moi une rose rouge et noire . Personne ne me verra jamais, personne ne se souviendra de mon visage. La seule chose à laquelle peuvent se raccrocher ceux qui ont rencontré mon chemin c'est une fleur. Un petit souvenir pour dire qu'ils ont, pour aujourd'hui, la vie sauve, mais que la prochaine fois sera une autre histoire. Je ne suis pas une criminelle qui veut se faire un nom. Le sang sur mes mains est justifié. Ceux qui ont goûté à ma lame n'étaient pas plus innocents que moi. Ceux qui ont goûté à mes griffes ne méritaient pas de vivre. Malgré ça… ce loup-garou… son cœur bat encore. Je l'ai pourtant broyer, mais… De toute façon, les sang-mêlés sont toujours plus durs à éliminer.

     

    Phase numéro quatre : Terminée. Phase numéro cinq : intégrer un convoi. Début dans vingt-quatre heures.

     

    Ƹ§Ʒ

     

    – Maman ! Maman !

     

    La fillette court à travers le jardin. Elle finit par arriver à destination, complètement exténuée. Le regard de sa mère quitte les fleurs pour se fixer sur la petite fille.Elle l'examine de la tête au pied pour s'assurer qu'elle ne s'était pas blessé. Heureusement, aucune égratignure. Avec un petit soupir discret, sa mère pose son sécateur et se concentre complètement sur son petit ange.

     

    – Que se passe-t-il Ylaïs ?

     

    La petite fille prend encore quelques grandes inspirations avant de s'écrier :

     

    – Regarde ! Mes premières écailles !

     

    La petite fille tend son bras recouvert de quelques écailles dorées. Un grand sourire illumine son visage tandis. Sa mère prend, en tremblant légèrement, le bras de sa fille. Elle examine attentivement les quelques irrégularités dorés.

     

    – Elles sont belles hein ?

     

    – Oui, c'est vrai qu'elles sont magnifiques mon ange.

     

    Sa mère lui sourit à son tour avant de lui tapoter gentiment le dessus de la tête. Elle-même arbore quelques écailles écarlate sur ses mains, mais les cache rapidement avec des gants de jardinage. Sans prêter plus d'attention à l'excitation de son ange, elle reprend son sécateur. Ses gestes sont raides et crispés.

     

    Une porte claque dans la maison. Le sourire de la petite fille s'agrandit. Elle se précipite vers la porte d'entrée pour se retrouver face à son père.

     

    – Papa ! Papa ! Mes premières écailles sont là !

     

    – C'est une merveilleuse nouvelle pitchounette.

     

    Ce dernier s'approche avant de se mettre à sa hauteur. Ses yeux verts plongés dans ceux de sa fille. Son père lui prend doucement la main pour voir de ses propres yeux le petit miracle. Un sourire fend son visage en reconnaissant l'éclat familier des écailles.

     

    – Tu vois ça ma pitchoune ? Ça, c'est le signe que tu appartiens bien à la famille Roblendas.

     

    – C'est vrai !? Je vais pouvoir voler comme toi papa ?

     

    Son père rit avant de la porter à bout de bras. Elle rigole à son geste avant de tendre le plus loin possible ses mains de chaque côté.

     

    – Et c'est partie ! Allons toucher les étoiles !

     

    Son père commence à courir dans la maison avant de sortir dehors, tournant encore et encore sous les cris de joie de sa fille. Les minutes s'écoulent, mais elle ne se lasse pas de ces quelques moments passés avec son père souvent absent. Il finit par la reposer au sol près de sa mère, complètement éreinté. La petite fille lui fait un grand sourire en tournoyant sur elle-même pour fêter la venue de ses premières écailles. Soudain, elle s'arrête.

     

    « Monstres ! Allez-vous en ! On veut pas de vous ici ! »

     

    Elle fronce les sourcils. Cela faisait longtemps que ces cauchemars n'étaient pas revenus la hanter.

     

    « Sorcières ! Au bûcher ! Vous ne méritez pas de vivre ! »

     

    « Abomination de la nature ! Votre rejeton ne fera jamais rien de bon dans sa vie ! »

     

    La fillette se blottie contre son père, soudain inquiète.

     

    – Dis papa, vous serez toujours là avec moi ?

     

    Son père fronce les sourcils à sa question, mais la serre fort contre lui pour la rassurer.

     

    – Mais bien sûr ! Ta mère et moi, on sera toujours là pour te soutenir. Tu as bien compris ? Ne doute jamais de ça. Jamais.

     

    Alors, pourquoi n'êtes-vous pas à mes côtés ?

     

    – Eh, fais pas cette tête Hira. C'était juste une blague !

     

    Je chasse rapidement ce souvenir et me concentre sur l'homme en face de moi. Un vampyre, pour sûr. Sa peau pâle et ses canines proéminentes ne trompent personne. Sans que je ne la remarque, ma main s'est glissé jusqu'à Dissonance. La lame vibre. Elle a faim, faim de sang et de vie. J'avale difficilement ma salive et abandonne à regret la poignée de ma dague. Ce n'est pas le moment de céder à la tentation. J'aurais sa peau plus tard.

     

    – De quelle tête tu parles, Tori ?

     

    Il rigole avant de reprendre une gorgée de sa coupe de sang.

     

    – M'enfin, tout le monde le sait. De toutes les soldates de la Garde, tu es… disons… plutôt la plus susceptible.

     

    Son voisin s'étouffe avec sa boisson.

     

    – T'es fou de lui dire ça.

     

    Je ne relève pas sa remarque et préfère regarder par la fenêtre. L'infiltration a été un franc succès. Tori et les autres soldats n'y ont vu que du feu. Me faire passer pour cette Hira a endormi toute méfiance à mon égard. Un sourire s'étire sur mon visage. Dire que la vraie Hira ne risque pas de respirer une nouvelle fois, eux, ils fêtent l'échec de sa mission en buvant du sang de porc. Effectivement, cette pauvre idiote avait pour mission de m'éliminer… et elle a échoué lamentablement. De plus, prendre son identité était encore moins compliqué. C'était une fille assez discrète et qui ne parlait à pratiquement personne. À cause de ce défaut, aucun soldat ne la connaît vraiment et c'est une chance pour moi. La remplacer n'est donc plus un problème.

     

    Plus que quelques heures avant d'arriver à Watrus, la capitale vampyre. Je caresse du bout des doigts l'image de la cité au loin. Son palais, un élégant bâtiment en onyx, se dresse fièrement en son centre. Ses tours, aussi noir que le ciel, se découpent sur un ciel d'orage. Bientôt, cette ville ne sera plus qu'un mauvais souvenir… Oui, tout ne sera plus qu'un mauvais souvenir…